samedi 23 août 2014

Le lapin qui faisait rire le fermier.

J’ai un mari, deux enfants et un lapin. Plutôt une lapine. Un bébé. Elle a 11 mois. Son pelage soyeux est de couleur bleue, elle est toute petite, relativement câline, à mourir de rire et pleine de moments de folie.

Je prends un panier de fruits et légumes toute les semaines chez un producteur local. 
Il est assez âgé, son pelage est de couleur gris/blanc et doit être assez rêche, il est plutôt enrobé, n’est pas très câlin bien qu’extrêmement gentil et il a un lien avec ma lapine : c’est son fournisseur officiel.

Ce producteur a rarement des moments de folie, du moins devant moi. C’est le Patriarche comme on l’imagine. Poli, la poigne ferme mais le ton bourru et la parole économisée à son strict nécessaire. 
« Bonjour Monsieur M ! dis-je d’une voix enjouée
B’jour ! Ton monocorde.
Vous allez bien ?? insiste-je sur une tonalité qui n’a rien à envier à  Chantal Goya.
Oui ! » Fin du débat.
Et ce… « dialogue » se répète une fois par semaine.

Non pas qu’il ne m’apprécie pas. 
Au bout de quatre ans, j’ai appris à guetter et  reconnaitre la lueur amicale dans son œil, le sourire relevé d’un seul coin de bouche, dans le but certain de ne pas rider d’avantage son visage buriné … Mouuii, je veux y croire, oui.
Nos échanges, bien qu’agréables, sont brefs. Mais nous sommes tous d’accord, parfois, il vaut mieux que ce soit court et bon, que long et merdique.

Comme je parlerais à un mur, pendant que je remplis mon cabas, je lui raconte ma vie dont il se bat les oreilles et j’en viens donc à lui dire que j’utilise les fanes des légumes (carottes, radis…) pour  nourrir mon bébé lapin. Oui, parce qu’on s’éloignait un peu du sujet, là …

Il y a un mois, je lui passe commande, en plus du panier régulier, d’un bouquet de menthe. 
Le jour de la récupération des légumes, j’explique donc que c’est pour le susdit rongeur. 
Mon petit producteur émet alors un bruit caverneux bien étonnant et se redresse :
«  De la menthe ?... Pour le lapin ??

Emerveillée de cet échange soudain qui a l’air de vouloir durer plus de 10 secondes, je rebondis : 
« Oui, oui ! Ils le disent sur Internet ! Les lapins aiment la menthe ! »
Il me dévisage et MIRACLE, le second bord de sa bouche semble se soulever aussi :
« Ah bon ?? Ils disent ça sur Internet ??... Ah bon … Bin, moi, j’ai jamais vu de lapin manger de la menthe ! »
Voulant conserver l’avantage, je persiste : 
« Oui, mais ce lapin, ce n’est pas un lapin de ferme. C’est une petite chose délicate… »
Cette fois, il sourit franchement, les yeux baissés, en refermant son camion. 
« Ah ouhais ?... Ouhais, ouhais … ‘Fin, vous me direz, hein … »
Et je sens dans l’intonation de sa voix, toute la condescendance de l’Homme Rural, rompu aux valeurs de la Terre et des animaux qui y vivent, face à la jeune (OUI, JEUNE !) citadine inculte qui fait mumuse avec un lapin de salon. 

Le soir même, une fois chez moi, je me penche vers ma lapine avec un brin de menthe. Elle se précipite vers moi, renifle l’aromate et manque faire une attaque ! 
Elle m’attrape par le colback et je lis dans son regard : 
« Ecoute-moi bien, toi, la Femme Géante ! Fais avec moi ce que tu es supposée faire, OK ?... Continue à nettoyer ma litière, caresse moi quand t’arrives à m’attraper, donne moi de la bouffe NORMALE pour lapin, mais essaye encore une fois de me refiler de la came daubée et je t’envoie en orbite sans que tu aies besoin de réacteurs ! Capisce ?... ».

La semaine suivante, j’arrive au camion de mon petit producteur avec bien moins de superbe. Lui, par contre, m’attend de pied ferme, un sourire éclatant aux lèvres. Cette fois, j’ai même pas besoin de me la jouer « Pandi Panda », il me saute … sur le râble :
« ALORS, Madame S ??... Et la menthe pour ce lapin ?? »
Aaah, le vil manant ! Se repaitre ainsi de ma défaite, de mon désaveu, de ma naïveté !...
Je reste digne devant l’attaque : 
« … Vous aviez raison. Elle n’aime pas ça. »
Et là, mon Roger Gicquel agricole explose de rire !

Interloquée et mimant la vexation, je grommelle :
« Ouhais, c’est bon … ».
Il s’essuie la larmette qui coule sur sa joue et pouffe : 
« Non, mais celle-là, elle était bonne ! De la menthe ! Pour un lapin !! … Si vous voulez la manger, éventuellement, ça lui donnera du gout, mais … ! »
Et de rire ! … Je n’ai pu que l’imiter, le bougre ! 

Pour le coup, ça a vachement décontracté nos relations ! Il me voit arriver avec un sourire franc et me questionne régulièrement sur l’état de santé du lapin.
« Toujours vivant ! » reponds-je.
Alors, il me donne des fanes de carottes coupées, des bottes de persil ou même un bulbe de fenouil…
« Pour ce pauv’ lapin ! Qu’il doit avoir une vie bien dure si vous vous évertuez à lui donner de la menthe ! »

Et il rit. 

Il a l’humour répétitif. Mais bizarrement, de le voir rire, ça me rend heureuse. Il n’y a rien de plus jouissif que de faire rire quelqu’un, qui le fait avec bienveillance.






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