vendredi 3 octobre 2014

Un jeune retraité.

(Cette histoire s'est déroulée il y a 5 ans). 

Mon fils, appelons avec tendresse, Le Gnome rentre de l’école avec une nouvelle importante : 
Il veut se faire baptiser !

Après tout, il a 10 ans, tous ses copains sont baptisés et il s’est pris trop la honte, quand la maîtresse a demandé qui ne l’était pas et qu’il a été le SEUL à lever le doigt …
Alors, il fallait savoir ce qu’on voulait, hein ?! On ne pouvait pas le mettre dans une école catholique et espérer passer au travers des mailles du filet !J’y voyais un inconvénient ? Non ? Bin, très bien, JE n’avais qu’à en parler à papa…Voilà, voilà … tout le fun est donc pour Bibi …

Tout devrait bien se passer, pourtant, le papa en question ayant toujours prôné la liberté d’expression et religieuse.
Oui, il a bien tenu à ce que ses enfants aillent dans une école catholique, mais pas n’importe quelle école catholique. CETTE école catholique ! Diss ouane ! Celle-là même qui l’a accueilli, éduqué, lui et ses frères (non, il ne s’appelle pas Rocco), dont le cadre sans barrières, ni clôtures, au milieu des pins, l’a enchanté et a développé, chez lui, l’importance accordée à toute forme de liberté.
C’est pour cette raison qu’il n’a pas voulu baptiser les enfants à la naissance : ils ont le droit de choisir ! Choix de leur religion, choix du moment où ...

Bon, ça tombe bien, parce que le moment de leur choix (ou, tout du moins, celui du Père Benoit), c’est vendredi 19 juin à 10h.

Une blancheur suspecte s’installe sur les joues de Cher et Tendre…
J’agresse (arme fatale féminine, je vous le concède !) : « Quoi ?... Ne me dis pas maintenant que tu ne veux pas ?
- Pas du tout ! Pas du tout ! C’est son choix, je l’ai toujours dit … Mais je vous avertis … Pas question pour moi d’assister à une messe ! ».
Ah bin voilà, je le sens bien, encore ce coup-là … Qui c’est qui va encore se faire avoir ?...

Le Gnome se positionne donc pour être baptisé avec quelques autres hérétiques des classes scolaires inférieures.
Confronté aux grommellements paternels à chaque fois qu’il tente d’évoquer le sujet à la maison, il comprend vite que le silence est d’or et se contente d’entonner quelques chants (« accepteuh ces quelques fleurs, Seigneur … ») dans l’appartement.

Arrive la première messe des familles, étape obligatoire dans le déroulement du processus. Les parents sont fortement attendus.

Avec le même entrain que Muriel Robin, dans son sketch « Patricia », je cache ma joie …

Surprise ! Les chants sont nombreux, gais, entonnés par tous les enfants qui reprennent les paroles à plein poumons, les discours personnalisés ne sont pas rébarbatifs, bref, je découvre un univers inconnu et assez loin de ce que j’imaginais.Tellement loin que lorsque le Père Benoit demande à tous de s’embrasser, je réponds « merci, merci, merci, oh, c’est gentil » à tous ceux qui me serrent la main en me donnant du "la paix du Christ" et en espérant expressément que tout ce petit monde ait une hygiène manuelle irréprochable, sinon, on est tous bon pour la castapiane collective ! 
Une dame m’explique alors qu’il faut que je réponde aussi « la paix du christ » … Aaaah … Pas de fantaisie, alors ? Pas de «Yo, brother ! Gimme five !», encore moins d’humour « Déjà, on dit LE pet du Christ, d’abord … ».

Bon… Je le saurai.
L’année se déroule et effectivement, nous traversons trois messes de famille, durant lesquelles je souhaite bien consciencieusement « la paix du Christ » à tous ceux qui me serrent la main, sans même avoir prévu un gel antibactérien hydro alcoolique (erreur que n’aurait JA-MAIS commise une de mes sœurs, Coco, par exemple ! Note pour plus tard : « Trouver un prétexte pour faire venir Coco … »)… Prénom Gaulois : Goudurix ! Même pas peur !

Puis … vers le mois de mai, un mercredi matin, à 8h30, le téléphone sonne.

Les enfants dorment encore, j’ouvre un œil et tente une mise en position verticale relativement rapide, sans me prendre les pieds dans les jouets qui trainent.

J’éructe un :
« Bwhallo ??.. », façon Lapin Crétin.

Une voix bien loin d’être angélique ou pleine de paix, m’agresse :« Mme S ??... Je vous signale que nous attendons Le Gnome pour notre retraite de la journée !». Dans les brumes du sommeil, je bafouille : «La retraite de qui ?? Ch’comprends rien à ce que vous me dites …».
A la limite du « Dis donc, la morue ! De quoi tu me causes, à l’aube du chant du coq, que y a dégun de retraité chez moi ! ».

La voix monte d’une octave et articule comme si elle s’adressait à une personne d’une intelligence défaillante :

« Aujourd’hui, une retraite religieuse est prévue sur la journée ! Nous sommes dans le bus et nous vous attendons pour pouvoir partir ! Vous bloquez 15 enfants et deux accompagnatrices, madame ! ».
Retraite de quoi, quand comment ? Le Gnome m’en avait vaguement parlé, il me semble. Vite, vite, trouver une réponse :« Biiiin, ça va pas être possible, le mercredi, Le Gnome a tennis … ».

Ouhais, je sais, on fait mieux, comme réponse…

Ca n’a pas loupé. La voix hurle :
« CO-AAAAAA ??? - coasse la grenouille de bénitier (celle-là, je l'aime bien ...). Vous vous moquez de moi ?? Alors, je vous informe que cette étape est une étape EU-bli-ga-toire dans le chemin vers Dieu et que si votre fils préfère jouer au tennis plutôt que de suivre le chemin divin, qu’il ne compte pas se faire baptiser !! ».
Nom de … ZEUS ! Le cerveau a intérêt à se réveiller en un quart de seconde ! J’imagine déjà la déception du petit et hors de question pour moi d’avoir risqué ma santé en serrant les paluches microbiennes de tout le monde pour rien !

« J’arrive !!!! Bloquez le bus encore 10 minutes et je suis là ! ». La voix ne négocie plus :« Vous avez dix minutes, pas une seconde de plus, c’est … ».
Je ne la laisse pas terminer et raccroche. « Amsoul ! ».

Je me précipite dans les chambres des petits, allume les lumières, leur jette des vêtements multicolores et multiformes tout en expliquant ce qui vient de se passer.
Je cloue sur place Usain Bolt dans un marathon de l'au-delà, qui m'emmène jusque dans ma chambre, enfile toujours en courant (essayez … pas passée loin de la double fracture faciale contre le mur du couloir… ) un short, un tee shirt, renonce à toute forme de sensualité en n’apposant aucun maquillage sur mon visage parcheminé comme une carte routière, grâce aux plis de l’oreiller !

Le Gnome arrive en courant, l’œil entrouvert, le cheveu hirsute, les vêtements enfilés à la va-que-je-te-pousse, la bave séchée au coin de la lèvre.
La petite sœur arrive également : « Maaaaais, je suis pas coiffée … ». Où va se nicher la futilité, tout’de même, à un moment où l’on joue notre vie !! …
« On s’en fout ! Vite, vite ! Dans la voiture, viiiiite ! ».

Et là … J’avais le choix entre rouler vite et voler bas.
Si les cinq minutes qui ont suivies avaient été qualificatives pour un grand prix automobile quelconque, Jean Todt m’aurait supplié de rejoindre la Scuderia …

Quitte à jouer au pilote, je jette ma petite Toyota en travers de la route, devant le bus, histoire de le stopper net, si l’idée lui était venue de partir sans MON fils… ou d’avoir 3 morts écrasés sur la conscience !
Le Gnome sort en courant, grimpe dans le bus, je me précipite à la rencontre de la Walkyrie dématérialisée :

« … Il n’a pas de pique-nique ?... » demande-t-elle, lèvres pincées.
Ah oui… C’est ça … Il fallait un pique-nique …

Honteuse et en embrassant rapidement mon fils qui grimpe dans le car sous les hourras de ses copains, je lui tends un billet de vingt euros en lui recommandant de s’acheter quelque chose à manger, dans « sa retraite », n’importe quoi, on s’en fout, c’est pas grave ! Et je fais coucou, essayant d’éviter le regard réprobateur des autres parents, à mes côtés :« ‘R’voir ! ‘R’voir ! »…
La Gnomette (sa sœur) et moi reprenons notre petite vie jusqu’à 16h30, heure de retour des jeunes retraités !

Le Gnome descend du car, lance des « bye » à tous ses potes et vient vers moi: « Alors ?? C’était bien ? Tu as trouvé de quoi manger ?
- Nan, c’était en pleine forêt. Mais t’inquiète, mes copains, ils m’ont tous donné quelque chose, j’ai mangé comme un goinfre !
- Ah, très bien, c’est super gentil de leur part. ».
Puis, après un instant de réflexion :
« Et mes 20 euros, alors, tu en as fait quoi ? ».
Son œil brille :« Surprise ! ».
Il farfouille dans ses poches et sort un petit sachet en papier kraft blanc. Il l’ouvre et fait descendre des objets dans le creux de sa main :
« Comme on est allé dans une église, il y avait un magasin de souvenirs et je vous ai acheté des croix à toi, papa et La Gnomette ! ».
Fièrement, il me montre. La mienne est rose, celle de sa soeur est jaune :« Et papa, il va être content, la sienne est rouge… pour aller avec son maillot du rugby quand il ira au stade ! ».

… J’imagine déjà la joie du Père !

Enfin … rien de comparable à ma tête lorsqu’en septembre de l’année suivante, La Gnomette rentre de l’école :
« Cette année, je veux me faire baptiser !! » …


… Bon … Pas d’autres solutions : Choper Coco ! … 






Copyright 2014





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire